La Master Class, organisée par l’IEJ Pierre Raynaud et l’association IP Assas, s’est déroulée ce lundi 17 mars au centre Assas.
Le principe consiste à confronter professionnels et étudiants en droit, dans le cadre d’un procès fictif traitant d’un cas réel. La cour était composée d’Anne-Marie Sauteraud, président de la 17ème chambre du tribunal de grande instance de Paris, assistée de Maître Eric Andrieu, avocat au cabinet Pechenard, et de maître Nelly Olas, avocat au cabinet Backer & Mckenzie. Pour l’occasion, le professeur Pierre-Yves Gautier a endossé la robe de l’avocat général.
L’affaire dont il était question s’inscrivait dans un contexte d’équilibre des droits fondamentaux entre le droit au respect à la vie privée (protégé par l’article 9 du code civil et l’article 8 de la CEDH) et le droit à la liberté d’expression (protégé par l’article 10 de la CEDH). Tout a commencé avec un article du Figaro publié en ligne le 9 septembre 2012 intitulé : « En images – Artistes, sportifs ou patrons ont en nombre élu domicile dans des contrées fiscalement plus favorables, comme la Suisse, la Belgique, les Etats-Unis ou encore l’Angleterre». Il y était mentionné le fait qu’Emmanuelle Béart s’était mariée en Belgique et aurait décidé de s’y installer, le tout accompagné d’une photo. Deux jours après, le journal a publié un démenti de l’actrice. Mais cette dernière a quand même saisi les voies de la justice pour faire reconnaître l’atteinte qui avait été portée à sa vie privée et à son droit à l’image. En 1ère instance, la 17ème chambre du tribunal de grande instance de Paris avait condamné le Figaro. Celui-ci a dû verser un euro de dommages et intérêt à l’actrice et publier un communiqué pendant 10 jours sur son site internet.
C’est devant un amphithéâtre bondé que s’est déroulé l’appel simulé. Les plaideurs se sont affrontés avec professionnalisme et conviction. Les avocats de l’appelant étaient Camille Lemonnier et Flavie Jost, toutes deux étudiantes dans le master II Propriété littéraire, artistique et industrielle de notre Université. L’avocat de l’intimée était Robinson Ladreit de Lacharrière, ancien étudiant de Paris II et avocat à la Cour (cabinet Neuer). Du côté de l’appelant, il était soutenu que le Figaro est un journal ancien et sérieux qui avait publié les propos litigieux dans un seul but informatif. Les apprenties avocates ont plaidé la bonne foi de leur cliente, notamment au regard de la rapidité de la publication du démenti. Les plaideurs ont affirmé ne pas comprendre l’intérêt de la publication d’un nouveau communiqué sur le site Figaro.fr, plus de deux ans après les faits. Elles ont également contesté le caractère insuffisamment sérieux et vérifié de l’information qui leur avait été reproché en 1ère instance. Il a été soutenu que les propos litigieux avaient étés relayés par divers journaux antérieurement et que Madame Béart n’avait jamais réagi à ces informations. Leur caractère avéré aurait donc été établi. Les brillantes plaidoiries des avocats du Figaro se sont achevées en demandant à la cour de prononcer l’infirmation pure et simple du jugement.
De son côté, l’avocat de la célèbre actrice a commencé de plaider en rappelant le fait que sa cliente est l’une des personnalités françaises les plus incontournables en matière de cinéma. S’agissant de l’équilibre des droits entre celui touchant au respect de la vie privée et celui relatif à la liberté d’expression, il a été rappelé que le second doit céder devant le premier. Seuls deux cas permettent d’inverser la tendance : l’existence d’un sujet d’actualité sur lequel porte l’information et si cette dernière s’inscrit dans le cadre d’un débat d’intérêt général. Il a été plaidé du côté de l’intimée que l’information litigieuse publiée par le Figaro n’apportait aucun élément supplémentaire concernant le débat autour de l’exil fiscal et quand bien même cela serait le cas, les propos insuffisamment sérieux et vérifiés ne permettaient pas de justifier l’atteinte faite au droit au respect de la vie privée. Le communiqué de Madame Béart démontre bien que celle-ci paie ses impôts en France et que cela lui tient à cœur. Il a également été soutenu que la publication de ce dernier ne démontre en rien la bonne foi du journal. L’avocat a insisté sur le préjudice causé à sa cliente du fait de l’assimilation de son image à des personnalités exilées fiscales. Son argumentation claire, organisée et très professionnelle s’est achevée par la demande faite à la cour de confirmer le jugement de 1ère instance et de condamner le Figaro à verser un euro de dommage-intérêt ainsi qu’à publier un nouveau communiqué sur son site.
Puis l’avocat général est entré en scène en ouvrant des pistes de réflexion quant au fondement de l’action intentée. Il a en effet expliqué que pour que l’on se situe sur le terrain de l’atteinte au droit au respect de la vie privée, encore faut-il que l’information en cause relève effectivement de celle-ci. On ne porte atteinte à la vie privée que lorsque celle-ci est effectivement malmenée (ex. si l’on prête à quelqu’un de s’être marié avec une personne du même sexe et que c’est inexact, en quoi sa vie privée est-elle atteinte ?) Or ici il était légitime de se demander si cela était vraiment le cas puisqu’il était admis par tous que les propos litigieux étaient faux. Des pistes de fondements plus appropriés ont été évoquées comme celle de la diffamation, mais qui apparaissait comme étant trop sévère, et surtout celle de la responsabilité délictuelle. En l’espèce, les conditions d’application de l’article 1382 étaient bien remplies exception du fait de savoir si le dommage subi par l’actrice n’avait pas été déjà réparé par la mise en ligne du démenti par le Figaro avant l’introduction de l’instance. De sorte qu’il y aurait lieu de requalifier (art. 12, CPC).
Enfin, tous les avocats se sont retirés de l’amphithéâtre et le public s’est alors transformé en juge, le temps des délibérations. Les débats ont essentiellement porté sur la notion même du droit au respect de la vie privée, sur l’inaction de l’actrice au cours de ces deux dernières années, sur l’existence d’un préjudice à son égard et sur les relations entre responsabilité civile et droit de la presse.
Est alors arrivé le moment du vote : le jugement a été confirmé dans toutes ses dispositions. L’atteinte au droit au respect de la vie privé a été caractérisée. Le Figaro a donc été condamné à verser un euro de dommage-intérêt à Madame Béart, ainsi que 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. La publication d’un nouveau communiqué demandée par l’avocat de l’actrice n’a en revanche pas été jugée nécessaire, faute d’éléments nouveaux.