Commission ouverte sur les fragrances de parfum: le Master y était !

Le 11 février 2015 a eu lieu la Commission ouverte en Propriété Intellectuelle sur les fragrances de parfum. Chloé CHIRCOP a représenté notre Master lors du débat présidé par Maître Fabienne FAJGENBAUM (organisatrice de la Commission), avec Maître Alice PEZARD et Maître Jean-Christophe TRISTANT. Compte rendu.

La Commission a donc eu lieu autour de la question suivante : Quelle protection pour les fragrances ?

Cette question juridiquement complexe et souvent débattue est d’autant plus importante que les parfums représentent une part de plus en plus grandissante de l’industrie française du luxe.

Chloé Chircop a introduit la séance en rappelant les différentes possibilités offertes par la propriété intellectuelle afin de protéger un parfum, ainsi que l’état du droit positif.

Pour protéger un parfum, plusieurs outils s’offrent donc à nous :

Le droit des brevets : a priori, il est possible de déposer un brevet sur une fragrance car le parfum est mentionné dans la classification internationale. La fragrance caractérise l’invention ou le procédé en tant que produit chimique industriel. Cependant, même si cette protection est possible, celle-ci paraît inadaptée et non nécessaire à l’industrie du parfum, notamment au regard de la durée limitée de protection du brevet et de l’obligation de divulgation complète. De plus, le seuil minimum d’activité inventive requis en matière de brevet semble trop strict pour s’adapter aux fragrances qui se heurtent en majorité au refus de breveter une chose abstraite ou une création esthétique.

Le droit des marques : La Cour de justice a répondu à la question de savoir si l’on peut déposer des marques olfactives et donc par la même occasion si la marque olfactive est susceptible de représentation graphique. En effet, l’objectif même de la marque étant d’identifier dans le commerce des produits ou services déterminés, il apparaît en pratique que les odeurs peuvent remplir cette fonction. La question de l’enregistrement d’une marque olfactive paraissait donc pertinente mais la CJ dans son arrêt Sieckmann du 12 décembre 2002 a refusé la validité d’un tel dépôt pour défaut de représentation graphique. En effet, la CJ a considéré qu’une formule chimique, décrite au moyen de mots, d’un échantillon de l’odeur ne remplissait pas l’exigence de représentation graphique car elle n’est pas suffisamment claire, précise, intelligible et objective. Et le dépôt d’un échantillon ne constitue pas une représentation graphique. Cette décision a été reprise ultérieurement par le TPICE dans un arrêt du 27 octobre 2005.

La concurrence déloyale et parasitisme : Actuellement, les fragrances sont protégées par le secret et par l’art 1382 du Code civil qui fonde l’action en concurrence déloyale et le parasitisme, ce qui permet ainsi de sanctionner le risque de confusion entre deux produits et le fait de profiter des investissements de toute nature fait par autrui. Cependant, ces actions ont vocation à protéger avant tout l’enveloppe de la fragrance et non pas la fragrance elle même. Par ailleurs, ces notions ne sont connues que du droit français. Enfin, le développement de techniques chimiques récentes permet de décomposer de manière presque exacte le secret qui couvrait par tradition les fragrances. Il nous apparaît donc que la véritable discussion quant à la protection des fragrances va porter sur une potentielle protection par les droits d’auteur.

Il convient donc dans un premier temps de retracer l’évolution de la jurisprudence en la matière et d’analyser dans un second temps la possibilité d’une protection par les droits d’auteur avec l’exemple des Pays-Bas.

  1. Arrêt de 2006

Le Code de la Propriété Intellectuelle ne donne aucune définition de l’œuvre de l’esprit. La doctrine a donc essayé de définir cette notion. Selon le professeur P-Y Gautier, l’œuvre serait un « effort personnalisé », un « apport intellectuel ». Par ailleurs, l’article L.112-2 du CPI qui énumère les œuvres protégeables par le droit d’auteur et bien qu’elle ne vise pas les œuvres olfactives, n’est pas une liste limitative, du fait de l’utilisation de l’adverbe « notamment ». Ainsi, au regard des textes, la question selon laquelle une fragrance aurait pu bénéficier de la protection des DA peut se poser. Mais la Cour de cassation a répondu à cette question par la négative dans un arrêt du 13 juin 2006. La cour a donc jugé que « la fragrance d’un parfum qui procède de la simple mise en œuvre d’un savoir faire ne constitue pas au sens des textes précités la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l’esprit par le droit d’auteur ».

La solution a divisé la doctrine et a suscité une résistance des juges du fond mais elle a néanmoins été confirmée à plusieurs reprises par la Cour de cassation.

  1. Arrêt de 2013

Dans cet arrêt, la Cour de cassation a donné une nouvelle motivation à cette exclusion de principe. Elle juge, pour pouvoir parler d’œuvre de l’esprit, qu’il faut une « forme sensible » et celle-ci doit pouvoir être identifiée de façon suffisamment précise pour permettre sa communication, ce qui n’est pas le cas du parfum.

Cet arrêt a beaucoup été commenté par la doctrine qui a en partie bien accueilli l’abandon du critère de savoir faire considéré comme incertain et abrupt.

Cet arrêt tant attendu en réponse à la résistance des juges du fonds n’a pas été publié au Bulletin, ce qui pose la question de sa portée. En l’état du droit actuel, nous n’avons pas de réponse claire à cette question.

  1. Discussion sur une possible protection : exemple des Pays-Bas

Les Pays-Bas ont accepté dans un arrêt de leur Cour Suprême de protéger les fragrances par le droit d’auteur. Il s’agit d’un arrêt « Trésor » du 16 juin 2006 : les juges néerlandais ont retenu que « l’énumération non limitative » et ce qui doit être entendu par « œuvre » au sens de la loi sur les droits d’auteur ne fait pas obstacle à une protection de la fragrance par le droit d’auteur.

Cette décision a fait face à beaucoup de critique de la part de la doctrine. D’une manière générale, on y retrouve les mêmes critiques que la doctrine française, notamment liées à l’objet de la protection, (difficilement identifiable ou perceptible) ou aux conséquences de l’ouverture d’une telle protection (vins, goûts, etc.).

On voit donc qu’une protection par les droits d’auteur est possible pour la fragrance malgré tous les débats qu’une telle solution peut susciter.

Remerciements à Chloé Chircop pour nous avoir transmis sa préparation, utilisée lors de la conférence.