Compte-rendu des rendez-vous de 5h, édition 2018

SIBYLLE INTERROGE LES PRÉDICTIONS DU DROIT

 

Les étudiants du Master 2 Droit de la Propriété Littéraire, Artistique et Industrielle de l’Université Panthéon-Assas ont organisé leurs traditionnels « Rendez-vous de 5 heures» – une série de tables rondes sur un sujet d’actualité lié au droit de la Propriété Intellectuelle – qui ont eu lieu les 29, 30 et 31 mai de 17h00 à 19h00, au Centre Vaugirard.

 

Cette année, le thème central était la «  Justice prédictive ». Ces tables rondes ont notamment été articulées autour des travaux du Professeur Georges Bonet, récemment disparu, qui fut l’un des piliers de l’équipe pédagogique de ce Master pendant de nombreuses années, mais aussi à l’occasion de l’ouverture du nouveau Palais de Justice de Paris.

 

La première journéefut ainsi consacrée aux prédictions quant à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union Européenne en matière de Droit d’auteur et Droit des marques. Nous avons eu la chance de recevoir Jean-Sylvestre Bergé (Professeur de Droit européen à l’Université Lyon 3), Marie Georges-Picot (Avocate au sein du Cabinet Hoyng Rokh Monegier), Frédéric Sardain (Avocat du Cabinet Jeantet) et enfin David El Sayegh (Président de la SACEM).

 

Au cours des débats il a été soulevé que la justice prédictive étant un algorithme, elle fonctionne pour les contentieux simples dans lesquels on alloue un montant. Mais en ce qui concerne les juges de la CJUE, il y a peu de données (environ 312 arrêts par an, toutes matières confondues). L’utilité de la justice prédictive est donc assez limitée et les outils efficaces et pertinents n’existent pas encore.

 

Par ailleurs, les limites de Justice prédictive appliquées à la CJUE ont été abordées.

 

Pour Maître Georges-Picot, l’utilisation des arrêts par les avocats met sur un pied d’égalité la Jurisprudence européenne et nationale. Il faut également distinguer la légalité et les questions préjudicielles. Il lui semble ainsi impossible que la justice prédictive puisse prédire les solutions en raison de l’aléa judiciaire qui est au cœur du processus. Une statistique peut être dégagée mais, en réalité, la justice prédictive n’existe pas. Enfin, les juges ne tranchent pas les litiges, le juge européen, qui a le spectre de jugement le plus grand au monde, n’est pas un juge spécialisé.

 

Maître Sardain a par la suite énoncé, en se basant sur l’arrêt Used-Soft relatif à l’épuisement du droit en matière de logiciel, que la CJUE tord les concepts de Droit Civil et de Propriété Intellectuelle, puisque le juge communautaire a en réalité un objectif politique et économique. On ne peut ainsi rien prédire. Il existe également des contradictions dans certains arrêts, tels Air fieldet SBS, qui rendent toute prédiction impossible.

 

Enfin, a propos de la question : « La Justice prédictive ne conduira-t-elle pas à une inversion de la hiérarchisation des sources du droit, en faisant prévaloir les décisions jurisprudentielles au détriment des textes ? », les intervenants ont rappelé que la règle de droit prévaut et importe toujours en premier lieu.

La deuxième journéefut dédiée à la possibilité de prédire les décisions des diverses juridictions françaises dans les domaines de la Propriété Intellectuelle, notamment le Droit des contrats et de la contrefaçon. Pour répondre à nos questions, étaient présents François Ancel (Premier vice-Président adjoint au tribunal de grande instance de Paris), Sylvie Benoliel (Avocat au sein du Cabinet Benoliel Avocats), Jean-Hyacinthe de Mitry (Avocat au sein du Gide Loyrette Nouel) et Carole Thomas-Raquin (Avocat aux Conseils pour le Cabinet Hemery Thomas-Raquin).

 

Les intervenants ont affirmé que la « Justice prédictive » et la « Propriété Intellectuelle » sont des notions contradictoires puisque la Propriété Intellectuelle est un contentieux complexe dont l’analyse factuelle et juridique est difficile. Par conséquent lorsque les questions restent ouvertes, l’intelligence humaine a toujours sa place. Sur les différents avantages de la justice prédictive, les orateurs ont estimé qu’elle pourrait aboutir à une meilleure connaissance de la jurisprudence et peut, de ce fait, être un outil formidable. Un autre avantage est qu’elle permet un gain de temps pour les contentieux simples et pourrait également permettre à  l’avocat une meilleure indentification des moyens à invoquer.

 

La dernière table rondeportait sur la « Justice prédictive » en soi et les mirages possibles qui s’y attachent. La journée fut ainsi consacrée au mouvement, dont on ignore à ce jour s’il constitue une nouvelle industrie ou une véritable amorce judiciaire.

 

Plusieurs personnalités prestigieuses ont ainsi été interrogées par les étudiants, des professeurs de droit comme Frédéric Rouvière (Professeur de théorie du droit à l’Université d’Aix-Marseille) ; des avocats chevronnés dans chaque spécialité tels que François Molinié (Avocat aux Conseils) et Christophe Perchet (Avocat  au sein du cabinet Davis Polk), Antoine Garapon (secrétaire général de l’IHEJ) et bien sûr, le directeur du Master, Monsieur le Professeur Pierre-Yves Gautier. Il a ainsi été rappelé que les avocats donnent du sens et qu’il n’y a pas de juristes dans les équipes des legaltechs, à l’origine des logiciels de justice prédictive. Or, un outil de jurisprudence n’est pas un juriste, il manque le raisonnement et le syllogisme juridique. En revanche, la justice prédictive pourrait améliorer certaines tâches répétitives.

 

 

Ces trois jours furent extrêmement enrichissants. Un immense merci aux intervenants pour la qualité des débats et aux participants pour leur présence et les échanges suscités par ce sujet passionnant et d’actualité.

 

 

 

Juliette Dionisi