La protection d’une marque face à des actes contrefaisants antérieurs à sa déchéance – Article n°2

Le droit de la propriété industrielle permet entre autres la protection des brevets, des appellations d’origine et des marques. Cette dernière catégorie permet de protéger les marques de produits ou de services en tant que « signe servant à distinguer les produits ou services d’une personne physique ou morale de ceux d’autres personnes physiques ou morales » selon l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle. 

Comme le reste des droits de propriété intellectuelle, le droit des marques est construit comme une exception aux grandes libertés européennes telles que la libre circulation des marchandises ou la liberté d’entreprendre. La protection accordée n’est donc pas absolue. Concernant la marque, son maintien s’accompagne notamment d’une obligation d’exploitation. A défaut, le titulaire peut être déchu de ses droits à l’échéance d’un délai de 5ans. Cette sanction est prévue par l’article L. 714-5 du Code précité. 

Le titulaire de droits sur une marque peut protéger son signe distinctif par une action en contrefaçon sur le fondement des articles L. 716-4 et suivants du même Code. 

Toutefois, une question est restée jusque-là en suspens : Le titulaire de droit sur une marque peut-il attaquer en contrefaçon des concurrents pour la durée antérieure à la décision de déchéance prononcée pour non-exploitation à l’expiration d’un délai de 5 ans ? 

Cette question inédite a été posée à la chambre commerciale de la Cour de cassation. Par une décision du 26 septembre 2018, cette formation décide de saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne d’une question préjudicielle portant sur l’application de l’article 10 de la directive 2008/95/CE qui rapproche la législation des États membres sur ce point. 

La Cour de Justice répond le 26 mars 2020 en précisant que le législateur européen a laissé une marge d’appréciation aux États membres afin de déterminer si une marque déchue de sa protection dans ces conditions peut servir de fondement à une action en contrefaçon pour la période antérieure à la déchéance. Les juges européens précisent tout de même que si la législation nationale permet une telle protection, l’élément du non-usage doit toutefois être pris en compte dans l’évaluation du préjudice subi. La solution de la Cour de Justice vient compléter un arrêt précédemment rendu le 21 décembre 2016 dans lequel elle admet la protection pour une marque non exploitée dont la déchéance n’a pas encore été prononcée. 

La chambre commerciale française prend note de la liberté accordée par la Cour de Justice et consacre alors la protection revendiquée par le demandeur. Par un arrêt rendu le 4 novembre 2020, une protection fondée sur l’objet du droit exclusif est préférée à une protection fondée sur l’usage qui en est fait. La Cour adopte donc une approche « abstraite » du risque de confusion entre les deux signes distinctifs. 

Cette approche a deux conséquences principales : 

1) Le titulaire de droit qui invoque la protection de sa marque déchue n’a pas à démontrer l’usage antérieur de la marque. En effet le signe distinctif bénéficie de la protection à la date de son enregistrement. L’usage qu’en fait le titulaire n’a pas d’incidence sur la protection du signe distinctif. Néanmoins, le non-usage de la marque sera pris en compte dans l’évaluation du préjudice, qui sera le plus souvent estimé à un euro symbolique. 

2) L’usage effectif de la marque contestée sera quant à lui pris en compte pour caractériser des actes d’exploitation tels que définis par l’article L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle, pouvant ainsi permettre l’aboutissement d’une action en contrefaçon.  

Thomas Ascione

 

Sources : 

• J. Deleau, « Le titulaire d’une marque déchue conserve ses droits antérieurs », Dalloz actualité, IP/IT et communication, 22 avril 2020

• CJUE, 5e ch., 26 mars 2020, aff. C-622/18, RTD com. 2020. 341, obs. J. Passa

• A. FOLLIARD-MONGUIRAL, Arrêt Cooper : période de grâce et droit à réparation, Propriété industrielle n° 5, Mai 2020, comm. 30

• A. Beyens, « Une marque déchue peut être invoquée pour agir en contrefaçon », Dalloz actualité, IP/IT et communication, 23 novembre 2020