Dans un communiqué de presse du 19 novembre 2020, Google annonce avoir progressé dans les négociations concernant les droits voisins avec les éditeurs de presse et leurs associations. Tout d’abord, la société fait part de ses discussions avec l’Alliance de la Presse d’Information Générale, organisme représentant les quotidiens nationaux et la presse régionale, quotidienne et hebdomadaire, en vue de conclure un accord-cadre. Ensuite, elle se félicite d’avoir déjà conclu des accords individuels avec des éditeurs tels que Le Monde, Courrier International ou encore l’Obs. Afin de saisir l’avancée majeure que permettent ces accords, il est indispensable de revenir sur la genèse des divergences opposant les éditeurs de presse à Google.
La consécration des droits voisins pour les éditeurs de presse en ligne
Jusqu’à présent, les moteurs de recherche exploitaient les contenus des agences de presse en les reproduisant et en diffusant les textes, photographies et vidéographies sans autorisation ni rémunération.
Le législateur européen est intervenu pour combler cette lacune de façon harmonisée pour l’ensemble des États membres et a adopté la directive (UE) 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique. Ce texte contient un article 15 qui prévoit la protection des publications de presse en ce qui concerne les utilisations en ligne. La transposition de ces dispositions en droit français crée les articles L. 218-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle. En vertu de ces mesures, les éditeurs de presse établis en Union européenne, bénéficient d’un droit de reproduction et d’un droit de mettre à la disposition du public d’autres objets protégés. Cette protection vise les exploitations sous forme numérique des publications de presse, et plus précisément, la « collection composée principalement d’œuvres littéraires de nature journalistique, qui peut également comprendre d’autres œuvres ou objets protégés, notamment des photographies ou des vidéogrammes, et qui constitue une unité au sein d’une publication périodique ou régulièrement actualisée portant un titre unique, dans le but de fournir au public des informations sur l’actualité ou d’autres sujets publiés, sur tous supports, à l’initiative, sous la responsabilité éditoriale et sous le contrôle des éditeurs de presse ou d’une agence de presse ».
Il en résulte que les éditeurs sont désormais protégés contre les utilisations non autorisées de leurs publications numériques par un service de communication au public en ligne. En leur conférant de tels droits exclusifs, ce régime leur permet d’être rémunérés lorsque les publications sont diffusées sur Internet par des moteurs de recherche ou des services de veille médiatique.
Les négociations entre Google et les éditeurs de presse
C’est au sujet de ce droit exclusif que Google et les éditeurs de presse se sont affrontés. En effet, dans un premier temps, Google, refusant de s’acquitter des redevances dues, propose deux options aux éditeurs de presse : ne pas percevoir de rémunération ou ne référencer que les contenus non protégés. En réaction, l’abus de position dominante de la société de Mountain View est dénoncé devant l’Autorité de la concurrence, qui enjoint à Google de négocier de bonne foi la rémunération des droits voisins avec les éditeurs de presse. La Cour d’appel de Paris confirme l’injonction de l’Autorité de la concurrence le 8 octobre 2020, forçant Google à assouplir sa position.
Finalement, quelques semaines plus tard, les deux camps ont largement entamé les négociations en vue de la conclusion d’un accord-cadre et certains éditeurs de presse ont déjà validé les conditions de leur partenariat individuel avec Google. Celui-ci se matérialise en particulier par le nouveau programme de licence internationale Google News Showcase. Cet espace créé par la société américaine permet d’accueillir des contenus de médias du monde entier dans un nouvel onglet du moteur de recherche d’actualité. Grâce à cet investissement d’un milliard de dollars, les lecteurs pourront accéder à un contenu enrichi pour lequel les entreprises de presse seront rémunérées.
Pour conclure, on ne peut que saluer cette évolution au regard de la crise que traverse la presse. En effet, l’émergence de nouveaux acteurs poussés par le développement du numérique et l’exigence de la gratuité qui se fait toujours plus pressante font naitre de nouvelles préoccupations pour les éditeurs de presse, qui doivent repenser leur modèle. Rappelons que l’enjeu est de taille si l’on considère comme essentiel le rôle de la presse, qui apporte « une contribution fondamentale au débat public et au bon fonctionnement d’une société démocratique ».
Gabrielle de Saint Marc
Sources :
- Communiqué de presse : Un point sur nos avancées avec les éditeurs de presse en France, Google, 19 novembre 2020
- Directive (UE) 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE
- Décision 20-MC-01 du 09 avril 2020 relative à des demandes de mesures conservatoires présentées par le Syndicat des éditeurs de la presse magazine, l’Alliance de la presse d’information générale e.a. et l’Agence France-Presse ;
- Cour d’appel de Paris (pôle 5 – ch. 7), 8 octobre 2020, n° 20-08071, Google LLC et autres c/ SPEM, AFP et autres ;
- Google enjointe de négocier de bonne foi avec les éditeurs de presse – Sarah Dormont – Dalloz IP/IT 2020. 560 ;
- Commentaire de la loi du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse, T. Azzi, Dalloz IT/IP 2020. 61 ;
- Droits voisins : la décision de l’Autorité de la concurrence imposant à Google de négocier avec les éditeurs de presse est confirmée en appel – Légipresse 2020. 530 ;
- Le Figaro, Droits voisins : accord en vue entre Google et les éditeurs français, Enguérand Renault, 19/11/2020 ;
- Our $1 billion investment in partnerships with news publishers, Sundar Pichai, CEO of Google and Alphabet, 01/10/2020.