L’intelligence artificielle (IA) et le droit d’auteur – Article n°4

Les robots peuvent-ils être les auteurs d’une oeuvre de l’esprit? 

Depuis des années ces robots sont à l’origine de créations artistiques étonnantes. Il suffit de penser au robot Shimon qui joue de la musique jazz, au robot E-David qui peint des tableaux, ou encore au logiciel d’intelligence artificielle ayant créé le “Portait d’Edmond de Belamy”, toile vendue par la maison de vente aux enchères Christie’s pour 432.500 dollars.
Sans parler du phénomène du Deepfake qui permet de générer de la musique grâce à des algorithmes, tout en se faisant passer pour un chanteur humain, ainsi l’IA chante aujourd’hui Franck Sinatra !

La question qui se pose est alors de savoir si les oeuvres créées par l’intelligence artificielle peuvent être protégées par le droit d’auteur.

La France a jusqu’à présent retenu une conception humaniste du droit d’auteur, en ce sens la qualité d’auteur d’une oeuvre de l’esprit ne saurait être reconnue qu’à un être humain.

Il en va de même pour des pays voisins, comme par exemple l’Italie. La loi sur le droit d’auteur italienne refuse en effet la protection des oeuvres générées par des systèmes d’intelligence artificielle, en soulignant le caractère essentiel du processus de création en tant qu’acte typiquement humain, caractérisé par l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

L’obstacle juridique réside dans le fait que pour être protégée au titre du droit d’auteur, une oeuvre doit être originale. En règle générale, pour satisfaire à ce critère, l’auteur ne peut être qu’une personne physique (cf. CJCE, 16 juillet 2009, C-5/08 Infopaq).

À l’instar de l’affaire californienne du singe qui s’était pris en selfie, et dans laquelle la justice américaine a refusé de reconnaitre la qualité d’auteur à l’animal, une IA créatrice ne saurait bénéficier du droit d’auteur.

Néanmoins, l’évolution croissante des nouvelles technologies a conduit le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA) à formuler, dans un rapport du 27 janvier 2020, quatre propositions de régime pour ces créations : 

  • Un droit d’auteur spécial à l’image du régime qui a été conçu pour les logiciels ;
  • Un droit d’auteur à la manière d’un droit voisin ; 
  • Un droit sui generis sur le modèle du droit accordé au producteur de bases de données ;
  • Un droit de propriété corporelle accordé au détenteur du support matériel généré par l’intelligence artificielle.

Au niveau communautaire, par une résolution du 20 octobre 2020 sur les droits de propriété intellectuelle pour le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle, le Parlement européen est venu avancer la nécessité de distinguer « les créations humaines assistées par l’IA et les créations autonomes de l’IA ». En ce sens, il suggère de ne pas « doter les technologies de l’IA de la personnalité juridique » de sorte que les robots pourraient ne pas être éligibles à la protection du droit d’auteur.

On voit donc que face à ce vide juridique, quant au régime applicables aux créations des IA, plusieurs pistes de réflexion ont été dégagées.

Il appartient maintenant au législateur de se prononcer sur l’opportunité ou non d’accorder à ces créations un régime de protection spéciale.
Plusieurs éléments devront être pris en compte : la responsabilité civile des robots, l’impact sur le marché du travail, les implications éthiques, la vie privée et la protection des données personnelles, par exemple.

En Chine, le Tribunal de Shenzen a récemment reconnu un travail généré par l’IA comme susceptible de protection par le droit d’auteur.

Dans certains États la protection des œuvres créées par des technologies robotiques est déjà acquise. Au Royaume-Uni, le Copyright and Designs Patent Act attribue la paternité de l’oeuvre au programmeur.

Face à ces questions qui se multiplient, quel sera le régime privilégié au niveau européen ?
Il ne reste qu’à attendre les propositions législatives que la Commission devrait présenter sur le sujet au début de l’année 2021. 

Alice Di Natale 

 

Sources
1. https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/un-tableau-produit-par-intelligence-artificielle-vendu-chez-christies-plus-de-40-fois-son-estimation_3368107.html
2. https://www.theguardian.com/music/2020/nov/09/deepfake-pop-music-artificial-intelligence-ai-frank-sinatra
3. H. Desbois, « Le droit d’auteur en France : propriété littéraire et artistique », 3e édition, coll. Propriété littéraire et artistique, Dalloz, 1978
4. Legge italiana sul Diritto d’Autore (L. 633/1941)
5. https://www.culture.gouv.fr/content/download/262466/file/CSPLARapport-complet-IA-Culture_janv2020.pdf?inLanguage=fre-FR

6. Résolution du Parlement européen du 20 octobre 2020 sur les droits de propriété intellectuelle pour le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle (2020/2015(INI))

7. Art. 9, UK Copyright, Design and Patents Acts, 1988